jeudi 2 mai 2019

Du Bauchérisme, sans préjugés

                                   Expérience Bauchériste





  Déconstruction – 3 ans

Ma rencontre avec le Cercle Bauchériste de Bourgogne date d’octobre 2018. Je suis alors, depuis 3 ans, propriétaire d’une petite jument poney français de selle, Aquarelle, âgée de 8 ans.

 L’histoire est on ne peut plus banale: cavalière de club pendant l’enfance, je m’éloigne du milieu équestre pendant mes études, y reviens à l’entrée dans le monde du travail, et acquiers mon premier cheval, pouvant l’assumer financièrement. 

 Novice, sans bagage solide dans le travail des jeunes chevaux, je croyais naïvement pouvoir m’en remettre aux « professionnels » pour m’accompagner dans cette tâche. « C’est leur job », me disais-je innocemment.

 Je fréquente alors plusieurs écuries de banlieue lyonnaise, qui seront pour moi le lieu de tant de désillusions. Conditions de vie non adaptées (chevaux gavés de céréales, environnement anxiogène), travail des chevaux brusque et hâté, irraisonné, proposé à l’identique à tous les couples cheval-cavalier, cheval piégé, enserré. Cheval triste. Maltraitance inconsciente. Spectatrice du ballet des vétos, maréchaux, ostéos, phytos, éthos, saddle fitters..., comme vœux de bonne conscience, ou comme aveu d’incompétence. Spectatrice du ballet des chevaux, que l’on change à tour de bras, avec l’espérance que « ça ira mieux avec un autre ». Ignorance construite par la pensée marchande.

 Observations. Questionnements. Constats. Déconstruction. Lectures. Conviction de ne pouvoir trouver aucune réponse satisfaisante dans l’enseignement officiel de l’équitation moderne. Recherche et pressentiment en l’existence et la possibilité d’une équitation plus juste, plus éthique, plus respectueuse de l’intégrité physique et morale du cheval.


  Rencontre – 1 après-midi 


 À l’été 2018, à l’occasion d’un voyage, ma jument est transférée en Bresse bourguignonne, initialement le temps de mon absence. À mon retour, je prends connaissance de l’existence du Cercle Bauchériste de Bourgogne, localisé non loin du lieu où est stationnée ma jument. L’association, via son « laboratoire », propose de venir assister au travail des chevaux. Le contact est pris avec Julie, que je viens rencontrer rapidement. 

 Julie m’expose et me présente son travail à pied avec 2 de ses chevaux au passif compliqué. Je me souviens avoir été frappée par la belle posture, prise sans aucun effet de contrainte par ses chevaux au travail, et de l’harmonie qui s’en dégageait. L’équitation bauchériste pratiquée par Julie s’imposait alors comme une évidence dans mon cheminement équestre. Il fallait que je bénéficie de son 
enseignement!


  Initiation – 3 séances






Au cours des premières leçons d’initiation, les mouvements clés du préparé sont enseignés, à savoir les mouvements d’assouplissement de mâchoire, d’encolure, d’épaule, de rein et de croupe. D’abord à pied, puis répétés monté. Le calme, la concentration et la décontraction, la lenteur, sont recherchés, ce qui n’est clairement pas chose simple pour ma jument, vite distraite, vite dans l’excitation, et qui avait clairement tendance à précipiter chacun de ses pas. 

 Faciles, les exercices proposés le sont eux. D’une simplicité déconcertante même, d’autant plus qu’ils sont d’abord abordés à pied, ils me paraissent à la portée de tout un chacun (après que le cavalier en ait été initié bien sûr).

 Et les premiers résultats se font sentir extrêmement rapidement. Je me souviens avoir enchaîné un parcours d’obstacles après la 2ᵉ séance, avec une jument qui n’avait jamais été aussi équilibrée et régulière dans ses allures, calme et à l’écoute. 


  Reconstruction – 10 séances





Au cours des séances suivantes, les flexions sont retravaillées, affinées, enrichies. Les lettres de l’alphabet sont assemblées pour former des mots qui composent des phrases (De Gatines). Le mouvement de diagonalisation est abordé tôt, lui aussi comme exercice gymnastique et de renforcement musculaire. 

 Gradation, précision, finesse, souci du détail. Rien dans l’enseignement Bauchériste que dispense Julie n’est laissé au hasard. Tout a une importance et est une pièce de l’architecture, du système. Chaque exercice en prépare un autre. Un ingrédient est ajouté à chaque séance. Rigueur. Sagesse. Adaptation au cavalier, au cheval, à l’instant présent.

 La reconstruction posturale – à savoir l’empilement de la grande encolure au-dessus des appuis antérieurs, et la flexion de la petite encolure, est réalisée sereinement et de manière graduée. Phase au cours de laquelle Julie sculpte la matière vivante (et nous l’apprend), lui donnant grâce et élégance. Que ma jument est belle ! 

 DÉCOMPOSER, DÉNOUER, PLIER, ASSEMBLER; RECTITUDE; LÉGÈRETÉ SANS COMPROMISSION; DESCENTE DES AIDES; Demander souvent, se contenter de peu (quelques foulées justes, voir l’intention même du cheval à les donner), récompenser beaucoup; Ne jamais travailler sur une résistance; La position contient le mouvement; Assurer solidement chacun de ses pas.

 Les principes bauchéristes sont énoncés non pas comme de belles formules théoriques bien ciselées, Julie les fait vivre. Ils s’incarnent concrètement dans la pratique, au fil des séances. Pour le cavalier, ils doivent faire chaire. Les automatismes équestres, les mauvaises habitudes du passé, doivent être déracinés pour tendre vers une fidélité aux principes. Ce qui est le plus difficile me semble-t-il, bien que la conversion cérébrale soit pleinement réalisée. Julie m’y aide avec patience.

 La lecture des textes de Baucher et de ses élèves, en complément des leçons, a été aussi indispensable pour m’imprégner de l’état d’esprit et de la philosophie Bauchériste. S’ils paraissent difficiles d’accès de prime abord (je m’y étais d’ailleurs essayée auparavant), l’enseignement pratique de Julie les éclaire et leur lecture en devient alors fort agréable et passionnante. 

 En un temps pour ainsi dire record comparativement aux 3 années de travail assez infructueux avec ma jument, je goutte à la saveur exquise de quelques foulées de légèreté, dans une posture juste. La dissymétrie de ma jument (qui présentait un postérieur droit plus faible, une tendance à charger l’épaule gauche et à vriller l’encolure) est très largement atténuée. Elle devient de jour en jour plus attentive, concentrée, sereine, calme et déterminée. Notre relation en est aussi considérablement renforcée. Complicité. 

 Je dois dire aussi, à cette époque, en être passée par de profonds moments de colère. Qu’une méthode aussi logique, raisonnée, progressive, efficace, considérant et s’adaptant à chaque cheval dans son individualité et ses particularités physiques et morales, ne soit pas plus connue, répandue. Qu’elle soit attaquée, vilipendée de la sorte. Tout cela dépasse encore très largement mon entendement. Elle épargnerait pourtant de longs moments d’errance aux honnêtes cavaliers.


  Consolidation – ∞


Remettre du ciment dans les fondations. Revenir inlassablement au préparé, le perfectionner « comme s’il avait été le but réel du dressage » (Beudant). Variation des postures, des mouvements. Pousser le travail de plus en plus finement dans le détail. Avancer en reculant. Plus les principes sont respectés avec rigueur, plus on va lentement, plus on va vite dans le dressage.

 Répéter les gammes. Patience. Rigueur. Julie nous fait sortir définitivement du référentiel du monde équestre pour celui du monde artistique.



  Élévation – ∞


 Du préparer découle le travail rassemblé, que ma jument poney français de selle, à la génétique obstacle, que rien de prédisposait à de tels airs, aborde pour ainsi dire presque naturellement, comme une évidence, avec une sérénité déconcertante. Je dois dire n’avoir pas imaginé une seule seconde, en frappant à la porte de Julie 5 mois plus tôt, en arriver à un tel résultat, à de telles sensations, et d’autant plus avec une telle fulgurance.

 Concentration au sein du manège, ses murs entre lesquels cavalier et cheval se retrouvent et se rassemblent, échappant à toute dispersion, pour un moment d’éternité.

 Mon expérience Bauchériste, c’est aussi l’ouverture à un monde d’une richesse culturelle et artistique insoupçonnée; des journées à contempler des photos anciens d’écuyers, à lire leurs livres et leurs correspondances; des heures de discussions philosophiques, littéraires, spirituelles, qui nourrissent l’âme.

 Les travaux du Cercle Bauchériste de Bourgogne prennent à mes yeux une dimension politique (revivification d’une pratique oubliée, valorisation culturelle d’une époque), artistique (recherche de l’équilibre, de l’harmonie, dimension transcendantale de la relation cheval-cavalier), et (donc) spirituelle (rigueur, calme, détachement, justice et justesse).

 Et à propos de la lecture des textes, si, au début, l’enseignement de Julie les éclairait, en donnait l’accès, ce sont aujourd’hui les textes qui jugent l’enseignement transmis: d’une fidélité sans faille. 

Reconnaissance immense. Gratitude.

 Lucie




 1 Mai 2019