jeudi 23 novembre 2017

Odelettes, poème pour Léon Gatayes

                * * * * * Odelettes * * * * *

  Avec ses sanglots, l’instrument rebelle,
      Qui sent un pouvoir plus fort que le sien,
      Donne l’harmonie enivrante et belle
           Au musicien.

      Le cheval meurtri, qui saigne et qui pleure,
      Cède au cavalier, rare parmi nous,
      Dont aucun effort ne peut avant l’heure
           Lasser les genoux.

      De même d’abord, le Rhythme farouche
      Devant la Pensée écume d’horreur,
      Et, pour se soustraire au dieu qui le touche,
           Se cabre en fureur.

      Mais bientôt, léchant la main qui l’opprime,
      Il marche en cadence, et comme par jeu,
      Son vainqueur lui met le mors de la Rime
           Dans sa bouche en feu.

      Tu le sais, ami, toi dont l’Art s’honore,
      Homme à la main souple, au jarret d’acier,
      Qui fais obéir la harpe sonore
           Et l’ardent coursier ;

      Lorsque aimé d’Isis aux triples ceintures,
      Un homme intrépide a baisé son sein,
      La création et les créatures
           Suivent son dessein.

      Le Génie en feu donne à l’âme altière
      Le Commandement, ce charme vanté,
      Et l’Esprit captif dans l’âpre Matière
           Cède épouvanté.

Mai 1855.

Théodore de Banville